Écrit par Emilie PIERRA (MAM-S6FRC)
Édité par Maeve BOUCHEZ (MAM-S7FRA)

Cette question peut paraître surprenante car elle est extrêmement subjective. D’une génération à une autre et d’un individu à un autre, les goûts changent. Au-delà des mentalités, c’est la technologie qui évolue, et certains films, qui étaient de vraies révolutions à l’époque de leur sortie, se retrouvent vieillis et perdent leur éclat. Pourtant, tous les dix ans, le Sight And Sound, une revue de cinéma du British Film Institute, classe les dix meilleurs films de tous les temps. Ce classement très respecté est effectué par de nombreux critiques de cinéma britanniques. Mais quels sont les films qui montent sur ce podium et qu’est ce qui les rend meilleurs que les autres ? En effet, on y retrouve des films de toutes époques (des films récents, des films sans couleurs et/ou des films sans paroles) de toutes nationalités et de tous genres. Dans le dernier classement en date, on retrouve notamment « Jeanne Dielman » (Chantal Akerman, 1975), « Vertigo » (Alfred Hitchcock, 1958), « City lights » (Charlie Chaplin,1931), « Citizen Kane » (Orson Welles, 1941), ou encore « Rashomon » (Akira Kurosawa, 1950) dont la diversité cacherait cependant un lien leur valant leur nomination.
Dans un premier temps, prenons l’exemple de « City lights » de Charlie Chaplin. Ce film, sans couleurs ni paroles, explore l’histoire d’un vagabond qui tombe follement amoureux d’une jeune fleuriste aveugle. Cette dernière imagine ce miséreux comme étant un homme influent et fortuné, mais il n’en est rien. Malgré tout et grâce à un malentendu, il obtient de l’argent et offre à la jeune femme une opération pour retrouver la vue. A cause de cet argent le garçon vivra maintes mésaventures et perdra de vue sa bien-aimée avant de la retrouver plus tard dans une scène très émouvante. Ce film mélange humour, tendresse et émotion sans qu’il ne nécessite aucune parole. Aucun livre ne pourrait décrire de la même manière le regard d’amour que porte Chaplin sur cette jeune aveugle, aucune pièce de théâtre ne pourrait décrire aussi bien le soulagement de cette fleuriste en retrouvant celui qui l’a aidée, et aucune musique ne pourrait susciter la même émotion. C’est ce qui fait la force du film. À quoi bon regarder un film si le livre dont il serait tiré raconte déjà tout et probablement mieux ? L’un des critères qui place « City lights » dans ce classement n’est qu’aucun autre art ne pourrait le remplacer. Il se différencie de tous les autres.
À présent, analysons « Citizen Kane » qui a été élu le meilleur film 50 années de suite. « Citizen Kane » de Orson Welles, sorti en 1941, retrace la vie d’un journaliste qui tente de comprendre les derniers mots d’un très riche mégalomane, Charles Foster Kane. Malgré l’histoire tout du moins banale du film, c’est dans son graphisme que se cache toute sa singularité : rien n’est dit explicitement. Par exemple, pour montrer la dégradation d’un couple, au lieu de simplement faire dire aux acteurs que leur flamme s’éteint, on voit les deux amants se parler tout au long du film à des distance de plus en plus espacées. Ou bien, pour montrer la faiblesse d’un personnage, le réalisateur va le placer aux côtés de grands meubles ou parois pour le faire paraître plus petit qu’il ne l’est vraiment. De plus, Orson Welles étant un grand amateur de théâtre, beaucoup de plans montrent l’action qui se passe au deuxième, voire troisième plan, ce qui n’avait jamais été vu auparavant. Ce qui fait de « Citizen Kane » un bon film, c’est qu’il a bouleversé l’histoire du cinéma : il a apporté une vision nouvelle des choses et a changé à jamais tous les autres films qui sortiront après lui.
Pour terminer prenons maintenant l’exemple de « Rashomon ». Dans « Rashomon » d’Akira Kurosawa, un samouraï est assassiné et plusieurs personnages racontent des versions contradictoires des faits. Ce film, contrairement aux deux précédents, n’a rien de fascinant cinématographiquement. Il n’a pas été une révolution du cinéma, il suit des schémas de films classiques et sort tout droit d’un roman. Mais alors pourquoi fait-il partie de ce classement s’il en raconte tout autant que le livre et n’est pas un chef-d’œuvre visuellement parlant ? Son secret se cache dans les techniques de Akira Kurasawa. En effet, à la fin du film, on apprend que tous les personnages mentaient. Pourtant, le spectateur, tout au long du film, croit le récit de certains personnages plus que d’autres. C’est en réalité parce qu’il a été manipulé. Les lumières, plans et musiques ont été minutieusement choisis pour influencer nos choix. Jamais le livre n’aurait eu autant d’impact sur nos opinions car tout ceci a été fait sans aucun mot. Une manipulation tout à fait inconsciente.
Pour conclure, si ces films ont été élus meilleurs films de tous les temps ce n’est pas pour leurs histoires, leurs acteurs ou leurs musiques. C’est parce qu’ils ont bouleversé l’histoire. C’est parce qu’ils ont su exprimer des choses différentes de n’importe quel art. C’est parce qu’ils ont eu un impact sur nous spectateurs qui changera à jamais notre perception des choses.
Car un bon film ce n’est pas celui qui a bercé notre enfance ou qui nous a fait le plus pleurer. C’est celui qui a fait avancer l’art.